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dimanche 1er novembre 2009 Mis à jour le 21 janvier 2011
L’indice FSI attire l’attention sur les règles légales favorisant l’opacité dans le domaine financier international. Ceci introduit une nouvelle dimension dans la compréhension de la corruption du point de vue de la lutte contre celle-ci.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la corruption n’a pas marqué les débats en matière de politique de développement au niveau international jusqu’à la moitié des années 90. En dépit du fait que la corruption ait été un problème depuis au moins un demi-siècle, elle ne figurait simplement pas à l’agenda politique. Et cela alors que les dictateurs siphonnaient la richesse de leurs nations dans des comptes bancaires offshore, que les petits pots-de-vin se multipliaient et que la malhonnêteté au niveau public déstabilisait les gouvernements de nombreuses nations en développement.
Ceci a changé avec le lancement de Transparency International en 1993. Basée à Berlin, cette ONG a attiré l’attention sur le problème endémique de la corruption, notamment grâce à son « Indice de la perception de la corruption », publié depuis 1995.
De son côté, la Banque mondiale, restée auparavant très passive sur les questions de corruption, est devenue une référence en la matière lors d’un discours de 1996, qui évoquait la nécessité de s’attaquer au « cancer de la corruption ». En 1999, la convention anti-corruption de l’OCDE est entrée en vigueur, et en 2003 les Nations Unies ont promulgué leur convention contre la corruption.
La corruption est maintenant clairement à l’agenda politique et notre compréhension de son impact sur les processus de développement est en train d’évoluer. La corruption a en effet été décrite trop rapidement comme un phénomène « qui n’existe que dans les autres pays », et jusqu’à très récemment, les débats à son sujet se sont très largement focalisés sur les pratiques à l’œuvre au sein du secteur public, comme si les pots-de-vin étaient uniquement quelque chose que l’on versait aux dictateurs avides et aux fonctionnaires gouvernementaux pourris, des pays les plus pauvres. En conséquence, la corruption se limite dans l’esprit de beaucoup aux versements de pots-de-vin.
La vérité choquante est que la corruption des intermédiaires en bout de chaîne, ne représente qu’une petite proportion des flux financiers illicites. L’organisation Global Financial Integrity (GFI), basée à Washington, estime que la composante transfrontalière de tels délits est la plus petite partie de l’argent sale, de l’ordre d’environ 3% du total.
Nous avons besoin de prolonger d’une étape notre compréhension de la corruption en considérant celle-ci comme une partie d’un problème plus vaste. L’Indice FSI d’opacité financière est la première initiative de cette nouvelle étape.
Afin de replacer la corruption dans une perspective plus adéquate, il convient en premier lieu de reconnaître l’existence des flux financiers illicites. Ceux-ci sont définis par le GFI comme « de l’argent gagné, transféré ou utilisé illégalement. Une somme d’argent mérite le label d’illicite, que cela soit la façon dont elle est acquise, son transfert ou son utilisation qui viole la loi ».
Les flux financiers illicites constituent un problème majeur. La valeur des flux financiers illicites transfrontaliers annuels est estimée par des experts à 1.000-1.600 milliards de dollars. D’autres estimations récentes chiffrent la valeur des flux financiers quittant les pays en développement entre 800 et 1.060 milliards de dollars par an, ce qui représente environ 10 fois la valeur de l’aide au développement accordée durant le même intervalle de temps par les pays développés.
Parler de flux financiers illicites est plus adéquat que de parler d’évasion des capitaux. Le second phénomène est lié à une perception bien établie de la corruption, focalisée sur le pillage des ressources et la corruption du secteur public. Au contraire, parler de flux financiers illicites recouvre l’ensemble de l’argent sale mondial, qui que ce soit qui s’en occupe et quelle qu’en soit l’origine.
Le GFI estime que 30 à 35% des flux illicites émanant des pays en développement résultent du crime organisé. Cette part est élevée, si on la compare au caractère restreint des flux illicites provenant de la corruption. Plus choquant encore, le GFI estime que 60 à 65% des flux financiers illicites en provenance des pays en développement résultent de la soustraction des flux commerciaux à l’impôt, opérée principalement par la falsification des prix d’importation et d’exportation (manipulation des prix et prix de transfert). De telles pertes fiscales sont particulièrement graves pour des pays en développement, puisqu’elles forcent leurs Etats à déplacer la charge fiscale sur les plus pauvres, sur ceux qui sont le moins capables de s’en acquitter.
Ceci implique logiquement que les gouvernements de ces pays ne disposent pas des recettes fiscales durables nécessaires pour investir et garantir le développement de leur pays. Dans de nombreux cas, l’absence de ces recettes fiscales durables maintient même ces pays dans une situation de dépendance permanente à l’égard de l’aide internationale.
Ce sont les flux financiers illicites semblables à ceux que la Banque Mondiale a identifiés qui maintiennent les humains les plus démunis dans la pauvreté. Le monde doit y remédier, et rapidement. Par chance, il est possible d’y apporter une solution.
Tant la corruption que les pratiques criminelles ou l’évasion fiscale ont un trait caractéristique commun.
L’Indice FSI liste et classe les juridictions génératrices d’opacité légale et financière. Il s’agit de territoires qui vendent du secret à ceux qui peuvent se le payer, grâce à une infrastructure composite, formée de juristes, de banquiers, de comptables et de conseillers financiers.
De telles juridictions rendent les flux financiers illicites possibles. Il est bien connu que des dictateurs corrompus, comme l’ancien président indonésien Suharto, pillaient la richesse de leurs nations et utilisaient des paradis fiscaux et judiciaires pour blanchir et placer leurs biens mal acquis. Il est avéré que la famille Suharto disposait de comptes bancaires aux Bahamas, dans les îles Vierges britanniques, aux îles Caïman, aux îles Cook, à Curaçao, Gibraltar, Hong-Kong, Panama, aux îles Vanuatu, et aux Samoa de l’Ouest. Ce sont exactement les mêmes juridictions qui facilitent et aident le crime organisé en offrant l’opacité financière qui permet le blanchiment d’argent et autorise, en dernier lieu, le crime à être aussi lucratif qu’il l’est. Ce sont les mêmes territoires qui sont utilisés par les sociétés multinationales pour créer des transactions sur papier et élaborer des structures comptables, leur permettant de se soustraire aux impôts qu’elles devraient acquitter légalement.
Ce n’est pas un accident si de tels flux financiers illicites sont attirés par les juridictions opaques. Le secret est un impératif de la finance illicite. Les territoires générateurs d’opacité financière sont des environnements criminogènes. L’opacité créée implique qu’il est impossible de retracer précisément les parcours des flux financiers et de les comptabiliser avec exactitude. Derrière le rempart du secret, l’argent propre et l’argent sale se mélangent librement et plus personne ne peut distinguer le bien du mal. De tels endroits ne font pas qu’attirer le crime : ils le rendent possible.
De ceci découle une autre conséquence, très importante. La limite, qui résulte du fait de se focaliser trop étroitement sur la corruption à l’œuvre dans le secteur public – les pots-de-vin et le détournement de fonds en particulier, – oblige à détourner l’attention de ceux qui rendent la corruption possible. L’indice FSI vise conséquemment à compléter le point de vue de Transparency International sur la corruption, en identifiant ceux qui offrent un environnement permettant les pratiques corruptrices.
Avant de mourir, le brutal dictateur nigérian Sani Abacha a ratissé des milliards de dollars provenant de la fortune pétrolière de son pays, en direction de ses comptes personnels. Mais où ces comptes étaient-ils localisés ? Qui l’a aidé à transférer ses avoirs du Nigéria vers de nouveaux comptes ? Quels ont été les territoires par lesquels cet argent a transité, avant d’y être finalement camouflés ? Abacha représente la demande en matière de corruption, et Londres, Zurich ou d’autres centres financiers représentent l’offre.
Il en est de même à propos des problèmes bien plus importants du crime organisé et de l’évasion fiscale. Ces activités sont rendues possibles par un réseau de générateurs d’opacité financière :
les centres financiers offshore et l’infrastructure composite formée de banquiers, de comptables et de juristes, qui créent les structures du secret financier et aident leurs clients à naviguer au sein de leur paradis fiscal et judiciaire en échange de commissions. Il est temps de braquer les projecteurs en direction de l’offre en services de corruption, en particulier vers ces territoires qui prospèrent parce qu’ils offrent un havre sûr pour les flux financiers illicites.
L’indice FSI classe les territoires de l’opacité financière mondiale. De ce fait, c’est le premier mouvement d’une nouvelle étape de compréhension de la corruption, qui reconnaît le problème des flux financiers illicites de manière plus large. Cette fois, le côté de l’offre en flux financiers illicites est soumis à l’examen. Vouloir résoudre la menace globale de l’argent sale implique de reconnaître l’existence de ces juridictions du secret. Ceci implique aussi de prendre des mesures pour mettre un terme à leurs activités illicites. L’indice FSI nous montre où commencer.
Née en 2005, la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires réunit 19 organisations de la société civile française engagées dans la lutte contre les paradis fiscaux, la fraude et l’évasion fiscales telles que des syndicats, des ONG de développement, des associations de lutte contre la corruption, des mouvements citoyens...
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