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Les multinationales, premières bénéficiaires des paradis fiscaux ?

mardi 29 septembre 2009 Mis à jour le 5 janvier 2017

Le constat est sans appel : la grande majorité des plus puissantes multinationales sont omniprésentes dans les paradis fiscaux. Qu’elles utilisent des méthodes illégales de fraude ou légales, l’évasion fiscale, le résultat est toujours le même : réduire au maximum la facture fiscale du groupe au niveau mondial pour maximiser les bénéfices … et les dividendes. Démonstration par l’exemple.

Les multinationales dans les paradis fiscaux en chiffres

  • 150 000 nouvelles sociétés off-shore se créent chaque année.
  • Les îles Caïmans sont le 5e centre financier du monde et l’investisseur étranger numéro 1 en Chine.
  • Les îles vierges britanniques abritent 830 000 sociétés pour 24 491 habitants en 2010, soit 34 entreprises par habitants (Rapport "Economie Débousolée", du CCFD-Terre Solidaire).
  • En moyenne, les entreprises du CAC40 payent 8% d’impôts sur le bénéfice.
  • Sur le papier, Jersey est le premier exportateur de bananes en Europe.

Nous n’avons pas toutes les informations, mais nous savons avec le peu qu’elles publient dans leur rapports annuels que : 100% des multinationales françaises du CAC 40 ont des filiales dans les paradis fiscaux, selon une enquête du magazine Alternatives économiques de mars 2009.
Le CCFD-Terre Solidaire a également démontré que les cinquante premières entreprises européennes possèdent en moyenne 21% de leurs filiales dans les paradis fiscaux. Elles sont notamment présentes dans les treize territoires les plus opaques de la liste de la société civile. L’étude révèle aussi que ce sont les banques sont les plus consommatrices de filiales dans les paradis fiscaux.

Entreprises Nombre total de filiales dans les paradis fiscaux % de filiales dans les paradis fiscaux
AXA  30 20.8
Allianz  25 19.1
BNP Paribas  347 24.5
Carrefour  82 16.5
France télécom 42 16.3
GDF suez 18 18.9
Metro  190 32.3
Siemens 50 45.5

Source : L’économie déboussolée du CCFD-Terre solidaire- décembre 2010

Aujourd’hui, aucun moyen de savoir si les activités qu’elles y mènent correspondent à des activités réelles ou si ces filiales ne sont que des coquilles vides pour enregistrer artificiellement de la valeur ajoutée créée ailleurs.

Présence des 50 principales entreprises européennes dans les paradis fiscaux
(source : Rapport Economie Déboussolée, CCFD-Terre Solidaire)

Pour réduire à tout prix le coût de la facture fiscale des multinationales : mettre les paradis fiscaux à son service

Les multinationales ont ainsi développé un ensemble de mécanismes complexes et des myriades de filiales, qui se comptent parfois, par milliers pour localiser fictivement leurs profits dans les paradis fiscaux, cachés aux yeux du fisc, et ainsi éviter de payer des impôts sur leurs bénéfices dans les pays où elles développent réellement leurs activités économiques.
Pour contrer de telles stratégies, la frontière entre la fraude fiscale, considérée comme répréhensible par la majeure partie des Etats, et l’évasion fiscale, qui respecte la lettre de la loi mais pas son esprit, est floue. Tandis que les Etats bataillent entre eux sur leur droit à taxer telle ou telle partie de l’activité d’une multinationale, selon les déclarations de celle-ci dans chaque territoire où elle est présente, les entreprises multinationales influencent l’évolution des lois à leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, dont le nombre ne cesse de s’accroître.

Fraude fiscale et paradis fiscaux : mode d’emploi

  • Fausses facturations entre entreprises
    Cette pratique consiste à falsifier les prix sur les exportations et les importations des marchandises ou services, en accord avec l’acheteur, afin d’éviter de payer les taxes correspondantes. Ce type de fraude fiscale est très difficile à détecter car elle fait souvent l’objet d’un accord oral entre les parties ; les pots-de-vin et commissions qui récompensent ces pratiques se cachant sur des comptes anonymes dans les paradis fiscaux.
  • Jouer des transactions au sein de son groupe : la manipulation des prix de transfert
    Les multinationales utilisent les transactions entre leurs propres filiales pour déplacer leurs profits dans les paradis fiscaux. La sur-facturation ou la sous-facturation de ces échanges par rapport aux prix du marché est interdite et, pourtant, c’est la pratique la plus courante des multinationales pour frauder les fiscs. En effet, environ la moitié des échanges commerciaux dans le monde a lieu aujourd’hui à l’intérieur même des groupes multinationaux. Les découvertes de Simon Pak, professeur à la Pennsylvania State University (USA), dans les statistiques douanières américaines sont édifiantes : des seaux en plastique tchèques importés aux États-Unis à 778 euros pièce ou encore des gants de toilette importés de Chine à 3 297 euros le kilo.
  • Prix de transfert mode d’emploi
    Les prix de transfert entre filiales permettent notamment aux entreprises de placer toute la valeur ajoutée d’un produit net d’impôt dans les paradis fiscaux : l’entreprise vend son produit à très bas prix, proche du prix de revient, de sa filiale de production à une autre de ses filiales située dans un paradis fiscal ; cette dernière filiale revend le produit avec une marge très élevée, non imposée, à la filiale du pays de consommation.

Les standards internationaux veulent que les transactions entre filiales d’un même groupe se fassent au prix du marché, prix bien difficile à établir pour les administrations fiscales lorsqu’il s’agit de propriété intellectuelle ou de « frais de gestion »… Autant chercher une aiguille dans un botte de foin, même dans le cas où il y a des marchés pour établir le prix du cuivre ou du cobalt, comme le montre l’exemple de Glencore qui rachetait systématiquement en dessous des prix du marché la production de cuivre et de cobalt de sa filiale zambienne.

Au total, ces fausses facturations et manipulations des prix de transfert des multinationales coûtent plus de 125 milliards d’euros par an aux caisses des pays du Sud, c’est-à-dire exactement la somme que les Nations unies demandent pour réduire de moitié la pauvreté d’ici 2015.

Évasion fiscale : manuel de la déconnexion entre la production et la réalité comptable
Les entreprises multinationales organisent leur groupe à travers leur monde en partie pour leur stratégie de planification fiscale : la myriade de filiales qu’elle développe permet de placer les coûts dans les pays de production et de placer les bénéfices de cette production, la création de valeur, là où elles sont le moins taxées, à savoir les paradis fiscaux.

Les Bermudes aspirent les bénéfices de l’exploitation du cuivre au Chili
Pendant 23 ans, Exxon a déclaré son activité de production du cuivre déficitaire au Chilidans la mine de cuivre Compania Minera Disputada de Las Condes, rachetée en 1979. Comment ne pas être imposable sur les bénéfices en 23 ans d’exploitation du sous-sol : Exxon aurait en fait localisé ses coûts au Chili et mis ses bénéfices en lieu sûr en surendettant la mine Disputada auprès d’Exxon Financial Services, la branche financière du groupe enregistré dans les Bermudes. Le paiement des intérêts annulait les bénéfices dégagés au Chili.

Comment SABMiller organise son déficit au Ghana
L’ONG Action Aid a décortiqué les rapports financiers disponibles du 2ème groupe mondial de brasserie, qui dégage 2 milliards de livres de bénéfices par an et détient 200 marques différentes de bière dans le monde, pour découvrir un réseau d’au moins 65 filiales dans les paradis fiscaux. En regardant à la loupe l’activité du groupe au Ghana, l’ONG a pu expliquer comment la brasserie de SABMiller, qui contrôle 30% du marché de la bière au Ghana, a été déficitaire et donc n’a pas payé d’impôts sur les bénéfices de 2007 à 2009. 4 schémas d’évasion fiscale permettraient de concentrer les coûts dans la filiale de production et de déplacer la richesse produite vers des filiales implantées dans d’autres territoires à plus faible fiscalité :

  1. La brasserie ghanéenne paye des royalties pour l’utilisation des marques qui sont pour la plupart enregistrés aux Pays-Bas. Beaucoup des conventions fiscales signées avec les Pays-Bas permettent de rapatrier les montants de dividendes ou de royalties sans être imposés aux Pays-Bas.
  2. La brasserie ghanéenne paye des « frais de gestion » à la société mère, en Suisse (lien vers fiche Suisse) qui alourdissent encore ses frais de fonctionnement
  3. Elle achète ses matières premières en provenance de différents en Afrique du Sud, mais toutes vendues via une filiale à l’île Maurice
  4. Elle s’endette auprès d’une filiale à l’île Maurice, avec taux d’intérêt très forts, encore une fois les coûts au Ghana sont alourdis pendant que des bénéfices sont rapatriés off-shore.
    Il est très difficile aujourd’hui de contester la légitimité de chacun de ces versements au regard des standards internationaux. Il s’agit pourtant d’un pillage organisé puisque cette entreprise en utilisant le marché ghanéen, les infrastructures du pays, sa main d’œuvre qualifiée ne reverse aucune partie de la création de valeur au Ghana sous forme d’impôts sur les bénéfices.

Certains préfèrent parlent d’optimisation fiscale plutôt que d’évasion fiscale pour expliquer que c’est légitime, nous pensons qu’on ne peut pas déclarer ses bénéfices dans des pays où il n’y a aucune production grâce à des sociétés écrans. Si chacun a le droit de vouloir réduire sa facture fiscale, peut-on laisser des empires multinationaux se déclarer déficitaires dans des pays où ils emploient des milliers de personnes, ont des usines, utilisent les infrastructures… en niant toute réalité économique ?

Que proposons-nous à ce sujet ?

Obliger les utilisateurs des paradis fiscaux à rendre des comptes en introduisant dans les normes comptables internationales une obligation de reporting pays par pays, afin d’obliger les entreprises à la transparence sur leurs activités.

Pour en savoir plus

Sur la présence des entreprises multinationales européennes dans les paradis fiscaux, le rapport l’Economie déboussolée, Multinationales, paradsi fiscaux et captation des richesses, du CCFD-Terre Solidaire

Sur la présence des entreprises françaises du CAC 40 dans les paradis fiscaux, l’enquête d’Alternatives économiques.

Sur l’impact de l’évasion fiscale des multinationales dans les pays du Sud, le rapport « Des sociétés à irresponsabilité illimitée. Pour une responsabilité environnementale, sociale et fiscale des entreprises (RESF) » du CCFD – Terre solidaire et d’Oxfam France – Agir ici.

Sur les différents schémas d’évasion fiscale par les multinationales, le rapport de SOMO, ONG néerlandaise.

Sur la manipulation des prix de transfert, la vidéo de l’intervention de Maylis Labusquière d’Oxfam France à l’Assemblée nationale le 29 mai 2009.

Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires

Née en 2005, la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires réunit 19 organisations de la société civile française engagées dans la lutte contre les paradis fiscaux, la fraude et l’évasion fiscales telles que des syndicats, des ONG de développement, des associations de lutte contre la corruption, des mouvements citoyens...

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