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mercredi 31 décembre 2014 Mis à jour le 30 novembre 2016
En février 2013, l’OCDE publie un premier rapport (disponible ici) concernant les phénomènes mondiaux d’évasion fiscale des entreprises multinationales qui nuisent directement aux budgets des Etats : « Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices » (en anglais BEPS : Base Erosion and Profits Shifting). Ce rapport répond à la demande formulée par les membres du G20 lors du sommet de Mexico (juin 2012), qui avaient affirmé dans la déclaration finale « la nécessité de prévenir l’érosion de l’assiette fiscale et le transfert de bénéfices » et qu’ils suivraient « avec attention les travaux en cours de l’OCDE dans ce domaine ».
Déjà, dans un rapport de 2011, le FMI reconnaissait pour la première fois le défi posé par l’habileté des entreprises multinationales en matière d’optimisation et les difficultés, y compris pour les administrations fiscales les plus avancées, de limiter les délocalisations de profits à travers les transactions intragroupe et la structuration de l’entreprise. Fin 2012, les ministres des Finances britannique et allemand, George Osborne et Wolfgang Schäuble, épaulés ensuite par leur homologue français d’alors, Pierre Moscovici, publiaient une déclaration conjointe pour appeler à une meilleure coordination afin de renforcer les règles fiscales internationales et d’identifier les failles du système actuel. Une préoccupation visiblement partagée par Barack Obama qui indiquait : « Des preuves empiriques suggèrent que les pratiques de transferts de revenus par des entreprises multinationales constituent une préoccupation majeure qui nécessite une réforme fiscale ».
Le point de départ
Le rapport de l’OCDE, intitulé « Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices » (en anglais BEPS : Base Erosion and Profits Shifting), présenté aux ministres des Finances du G20 en février 2013 à Moscou, dresse un état des lieux : la plupart des stratégies d’évitement de l’impôt restent inscrites dans un cadre légal, ne faisant qu’exploiter les failles et les différences de législations entre les Etats. En effet, les règles de fiscalité, mises au point dans les années 1920, ne sont plus adaptées à la réalité des grandes entreprises multinationales d’aujourd’hui (en particulier, les dispositifs mis en place pour éviter la double imposition sont devenus des cadres de double non imposition). L’OCDE observe ainsi une hausse de l’agressivité des pratiques « d’optimisation » de certaines entreprises, c’est-à-dire d’évasion fiscale légale, et montre qu’une réforme globale et coordonnée est nécessaire. La perspective de révision des règles pose aussi la question de la répartition entre les pays sources des revenus et les pays de résidence, ainsi que celle du réalignement des droits d’imposition sur la répartition réelle des activités économiques. Du propre aveu de l’OCDE, il en va de l’intégrité du régime d’imposition sur les bénéfices et, au-delà, de nos régimes fiscaux, menacés par ces pratiques d’indiscipline fiscale. Le rapport reconnaît également que la situation actuelle produit une concurrence fiscale déloyale, une allocation des ressources moins efficiente, des inégalités devant l’impôt. Laissant de côté les pays en développement et les pays émergents non membres, l’OCDE propose d’agir vite.
Pas moins de 58 organisations de la société civile internationale, dont la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires, ont travaillé conjointement dès le début du processus pour faire valoir leurs propositions.
Tout en saluant la prise de conscience des pouvoirs publics, la société civile a ainsi pointé les différentes limites de ce rapport et indiqué que les pays du Sud ne devaient pas être exclus de cette réforme (lire le positionnement « Rétablir des règles du jeu équitables ? Impliquer les pays n’appartenant pas au G20 dans le processus "BEPS" », ci-contre).
Dans un texte de positionnement commun intitulé « No more shifty business » (disponible seulement en anglais ici), publié en mars en réponse au rapport BEPS de l’OCDE, la société civile demande notamment que les multinationales aient l’obligation de remettre aux autorités fiscales de chaque pays où elles sont présentes un rapport financier unique, basé sur leurs comptes consolidés, et de publier pays par pays leur nombre d’employés, leurs actifs physiques, leur chiffre d’affaire, les profits réalisés et les impôts payés ou dus. Ainsi, l’assiette fiscale pourrait être établie à l’échelle de l’ensemble de la firme (et non filiale par filiale), pour être ensuite redéterminée pays par pays en fonction de l’activité réelle de l’entreprise (les autorités fiscales de chaque pays pouvant décider du niveau d’imposition de leur choix, mais sans que la multinationale puisse jouer sur l’assiette fiscale indépendamment de son activité réelle). La société civile rappelait également que d’autres mesures favorisant la transparence financière seraient nécessaires, telles que l’échange automatique d’informations entre les autorités fiscales, ou encore la création d’un registre public des bénéficiaires réels des sociétés écrans, trusts et fondations.
Le plan d’action
Le plan d’action, élaboré et piloté par le Comité des Affaires Fiscales de l’OCDE, a été lancé en juillet 2013, donnant corps au projet BEPS, commun à l’OCDE et au G20. Il comprend 15 actions, à mettre en œuvre dans les 18 à 24 mois suivants, réparties selon trois échéances :
Septembre 2014
Septembre 2015
Décembre 2015
Les travaux sont pilotés par le Comité des Affaires Fiscales de l’OCDE, au sein de différents groupes de travail (en savoir plus la page du site de l’OCDE). Pour chaque action, les rapports sont approuvés par consensus entre 44 pays ayant voix au chapitre : les 34 États membres auxquels s’ajoutent d’autres membres du G20 et des pays en voie d’accession à l’OCDE.
La position de la société civile à mi-parcours (décembre 2014)
Après la publication des sept rapports de septembre 2014, une note d’analyse détaillée a été publiée par le BEPS Monitoring Group, BMG (disponible uniquement en anglais, ici). Le BMG est un groupe d’experts travaillant sur divers aspects de la fiscalité internationale, institué par plusieurs organisations de la société civile œuvrant en faveur de la justice fiscale : Global Alliance for Tax Justice, Red de Justicia Fiscal de América Latina y el Caribe, Tax Justice Network, Christian Aid, Action Aid, Oxfam et Tax Research UK.
Globalement, en dépit d’un évident volontarisme de la part de l’OCDE et des coordonnateurs du projet BEPS, il est reproché à celui-ci de se limiter à des aménagements du système fiscal existant, qui risquent de ne pas éliminer toutes les failles dont jouissent les multinationales en matière d’impôts, au lieu de remettre complètement les choses à plat en posant enfin les bases d’un système de taxation unitaire. D’autre part, malgré le large processus de consultation des pays en développement dont se targue le projet BEPS, il est reproché à l’OCDE et au G20 de prendre les décisions seuls (contrairement à un cadre associant le maximum de pays, via l’ONU), en tenant compte a minima, voire pas du tout, des propositions et préoccupations spécifiques des pays en développement, qui restent les plus durement impactés par les pratiques d’évasion fiscale des entreprises.
Pour aller plus loin
Née en 2005, la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires réunit 19 organisations de la société civile française engagées dans la lutte contre les paradis fiscaux, la fraude et l’évasion fiscales telles que des syndicats, des ONG de développement, des associations de lutte contre la corruption, des mouvements citoyens...
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